[TRIBUNE] CANNES LIONS : LA QUESTION DU GENRE S’INVITE DANS LA COMPÉTITION
Par Stephanie Himoff, Managing Director, Northern Europe chez Outbrain.
Chaque année, c’est comme un rituel : des centaines de CMO venus du monde entier prennent part, toujours plus nombreux, à un drôle de pèlerinage : les Cannes Lions. 10 jours pendant lesquels des Madmen et Madwomen, plus ou moins fidèles à l’orignal, déambulent sur la Croisette. Je fais moi-même partie de ces pèlerins depuis les premières heures du Festival. Et depuis des années, je fais tristement le même constat : trop peu de Femmes occupent des rôles au sein du Top Management de leurs organisations.
Au cours des dernières années, le nombre de femmes dans les rangs créatifs a dramatiquement baissé, tandis que celles étant parvenues à se hisser en haut de l’échelle ont été de moins en moins nombreuses. Dans le monde, on estime à moins de 25 % la part de créatifs femmes en agences… Pis, seuls 3 % des Directeurs de Création sont des femmes.
Il y a 20 ans, je faisais mes premiers pas dans le marché des médias digitaux en participant au lancement de netguide.live, le tout premier « annuaire de contenus » sur Internet. J’ai ensuite lancé la division Licencing de CMP International en Europe, avant de relever un challenge encore plus ambitieux en prenant la direction d’AltaVista UK, qui fut finalement racheté par Yahoo!. Autant d’expériences qui ont forgé la passion que j’ai aujourd’hui pour l’univers des médias et de la technologie, et qui m’ont ouvert les portes de la fonction que j’occupe aujourd’hui chez Outbrain.
Evoluer en tant que femme : l’art de l’esquive ?
J’ai eu la chance d’embrasser une carrière dans un secteur qui me passionne, et que je connais aujourd’hui plutôt très bien. C’est un secteur qui ne cesse d’évoluer et de poursuivre sa marche en avant, et je me sens extrêmement privilégiée d’en faire partie. Mais il n’y a pas de hasard. Dès le début de ma carrière, j’avais une vision très claire de ce que souhaitais faire et où je voulais arriver. Je m’y suis accrochée corps et âme, sans jamais prêter attention aux stéréotypes liés au genre.
Cependant, en m’attardant sur mon planning cannois, je me suis aperçue d’une chose : les questions liées au genre occupent encore et toujours le devant de la scène. Petits-déjeuners, tables rondes et événements divers ont cette année célébré la Femme talentueuse et créative, alors qu’un nombre de plus en plus important de travaux se sont penchés sur la manière de repenser la question du genre et de ses disparités.
Mettre fin aux stéréotypes
Un matin, alors que des décideurs du monde entier continuaient de flâner sur la Croisette, je suis allée à un petit-déjeuner organisé par IPG intitulé « Conversations avec des femmes extraordinaires ». Parmi les sujets évoqués, la discussion s’attarde sur la manière de cibler les femmes d’une manière authentique, en s’éloignant des clichés, les montrant fortes, confiantes et leaders. Nous avons voyagé dans le temps, évoqué des questions politiques, pour finalement célébrer les femmes remarquables de l’année. Je suis sortie de ce petit-déjeuner réconfortée et apaisée.
Certes, ce n’était qu’un petit-déjeuner. Mais il fut révélateur de cette semaine cannoise qui, à mes yeux, a permis de mettre à mal quelques préjugés encore trop persistants. J’en veux pour preuve cette prise de position du CMO d’Unilever, Keith Weed, qui s’est publiquement engagé à supprimer tous les stéréotypes sexistes de ses campagnes Dove, Lynx et Sunsilk, et à revoir entièrement sa stratégie suite à une étude mettant en lumière le fait que seuls 2 % des femmes figurant dans les publicités sont montrées comme étant intelligentes. Keith Weed fait désormais campagne pour changer la manière dont les femmes sont décrites dans et par la publicité…
Dans la même veine, JWT Londres tweetait en direct du Festival :
Des déclarations d’intention aux actes, il y a parfois un pont qui n’est jamais franchi. Mais je m’efforce de croire que ce genre d’initiatives peut agir positivement en faveur d’une vision des genres moins stéréotypée. J’y crois d’autant plus que ces CMO questionnent leurs propres campagnes sans hésiter à remettre en cause le temps, l’argent, les recherches, les données collectées et les analyses qui sont faites par les entreprises pour s’adresser au plus juste à la femme/ménagère.
Un espoir de changement
Cette année, le Festival annonçait 40 % de femmes parmi les 387 jurés, contre seulement 31,5 % l’année dernière. Une augmentation significative qui marque un record de représentativité des femmes au sein du jury. Je ne suis pas adepte (et de loin !) de la théorie du complot. Mais quand je vois le profil des candidats aux Glass Lions et les gagnants du prix, je me dis qu’un travail allant à l’encontre des stéréotypes liés au genre a largement été entamé…
Serait-ce dû à la présence plus importante de femmes dans le jury ? Nul ne peut l’affirmer. Il n’en reste pas moins que le Grand Prix des Glass Lions a été attribué à Hindustan Unilever et Mindshare Mumbai pour la campagne « 6 pack band ». Une campagne mettant en scène un groupe pop transgenre vantant les mérites de sachets de thé ! Il fallait y penser…
Le Festival a également renouvelé son initiative « See It Be It », pensé pour accompagner des talents créatifs féminins dans l’avancement de leur carrière, et lutter contre la sous-représentativité féminine dans le secteur créatif. L’ambassadeur du programme n’est autre que Sarah Watson, Chief Strategy Officer de BBH New York.
L’initiative « The Girl Lounge » relève du même principe. Cette organisation est un réseau de femmes qui encourage l’égalité des chances et favorise le networking exclusivement féminin. Leurs événements ont été le théâtre de débats animés entre des femmes issues autant du marketing que de la publicité, les médias et la technologie.
Il y a 20 ans que je foule les pavés cannois. 20 ans que les préjugés liés aux femmes, aux jeunes, aux vieux, à la diversité ethnique ont la dent dure. Pourtant, pour la première fois en 20 ans, j’ai la sensation que les choses avancent dans la bonne direction, et que les belles déclarations pourraient s’accompagner d’actes concrets. Grâce à des femmes comme Madonna Badger, Gina Hadley ou Michelle Morgan. Grâce à des hommes comme Keith Weed. Et finalement, grâce à toutes ces personnes rencontrées la semaine dernière, qui savent mettre leur créativité au service d’une cause. Celle de la diversité.
Article également publié sur INfluencia sous le titre “Cannes Lions 2016 : où sont les lionnes ?“